- Il pleut sur la ville et ça me donne des vagues à
l’âme. Dix-sept heures moins vingt, d’un après-midi
de fin septembre austral. L’heure propice à cette
luminosité chaleureuse du "masoandro mody"
d’Imerina. Depuis la "route circulaire", deux
arcs-en-ciel zèbrent majestueusement l’horizon
derrière la colline d’Ambohitsoa-Mahazoarivo. Spectacle
sans doute banal puisque le pluriel existe pour arc-en-ciel.
Mais, de mémoire du petit garçon que je me découvre
encore parfois, quelle nouveauté ! N’était-ce
la pudeur de l’âge, je me serais extasié
avec ma fille: "C’est trop joli ! Vive arc-en-ciel!".
Quelque part, j’ai su garder intacte ma capacité
d’émerveillement puisqu’on pouvait craindre
que seule la capacité d’indignation était
quotidiennement aiguisée sur la pierre restée
brute. Un livre "collecto " est en cours de préparation
par un Belge, Stefaan de Wolf auteur surtout de trouvailles
inattendues dans une ville, Antananarivo, que je croyais vraiment,
et d’abord, mienne. "Mais, comment fait-il ? ".
Il a tout simplement gardé l’œil neuf, aidé
peut-être par la distanciation que crée inévitablement
son "aliénité" (le correcteur automatique
de Microsoft Word tique affreusement, mais "étrangeté"
traduit imparfaitement ma pensée qui dépasse donc
les mots). Telle demeure de caractère devant laquelle
nous passons tous les jours, et que nous ne voyons même
plus. Telle architecture innovante qui a cessé depuis
longtemps de nous étonner. Le tout niché au détour
de ruelles improbables, au fond d’une impasse à
laquelle n’accède pas aussi facilement que le touriste
Vazaha son photographe malgache, tout en haut d’un escalier
abrupt qui dégringole de la Haute-Ville. L’œil
neuf de l’enfant qui sommeille derrière l’adulte
stressé, toujours trop pressé vers l’utile
et jamais, finalement, empressé envers le futile. On
n’a pas fini de voyager à deux pas de chez nous
mais, comme le très long périple du sage chinois,
il faut faire le premier pas. Et pour ce faire, prendre surtout
du temps sur le temps. Le temps d’une marche solitaire
depuis Anosimanjaka jusqu’à Soarano en passant
par le Rova d’Ambohidratrimo ; d’une autre marche
déjà plus salutaire dans un quotidien désormais
englué dans la sédentarité entre Ambatoharanana
et Andakana; d’une escalade bonhomme depuis Ambohitrangano
jusqu’au sommet d’Analamanitra : à force
de seulement arpenter Google et autres portails Internet, le
moindre mouvement emprunte la "diagonale des fous".
Des sociétés organisent régulièrement
des trekkings du côté du mont Tsiafajavona à
Ambatolampy; d’autres raiders parcourent régulièrement
deux centaines de kilomètres dans la savane désertique
d’un arrière-pays que, décidément,
je ne connais pas. Un pied devant l’autre, c’est
encore le rythme à échelle humaine. L’échelle
des petites choses, des choses banales qu’on aime et dont
il faut apprendre à tomber de nouveau amoureux. Cet arc-en-ciel,
dans le ciel lourd de pluie de cet après-midi de septembre,
nous aura ménagé une pause poétique que
je n’ai pas eu le courage de bouder.
Arc-en-ciel
Par NASOLO-VALIAVO Andriamihaja
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